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Je me sentis toute confuse comme une coupable. Je tressaillis à sa question rapide et ne trouvai rien à répondre.

La petite princesse leva les épaules en signe d’étonnement (geste qui lui était habituel), pinça très sérieusement ses petites lèvres, abandonna le jeu et s’assit dans un coin du divan d’où elle commença à m’examiner très attentivement et à réfléchir, comme si elle voulait résoudre une nouvelle question venue tout à coup à son esprit.

C’était aussi son habitude dans tous les cas difficiles.

De mon côté, pendant longtemps je ne pus m’habituer à ces manifestations bizarres de son caractère. D’abord je m’accusai moi-même, et pensai qu’en effet j’avais aussi beaucoup d’étrangetés, mais, bien que ce fût vrai, je me sentais néanmoins très tourmentée.

Pourquoi ne pouvais-je pas, du premier coup, me lier d’amitié avec Catherine et lui plaire une fois pour toutes ? Ses rebuffades m’offensaient jusqu’à la souffrance et j’étais prête à pleurer à chaque mot un peu vif de Catherine, à chacun de ses regards méfiants. Ma douleur croissait non par jour, mais par heure, car, avec Catherine, tout allait très vite. Au bout de quelques jours, je remarquai qu’elle ne m’aimait pas du tout et même qu’elle ressentait pour moi une sorte d’aversion.

Tout, chez cette petite fille, se faisait rapidement, brièvement, d’une autre on aurait dit grossièrement, si dans les mouvements, rapides comme l’éclair, de ce caractère, droit, naïf, sincère, il n’y avait eu une vraie grâce, une vraie noblesse.

Au commencement, ce qu’elle éprouva pour moi fut d’abord de la méfiance, ensuite du mépris, et cela, me semble-t-il, parce que je ne connaissais aucun jeu. La princesse aimait à courir, à s’amuser ; elle était forte, vive, habile ; moi au contraire j’étais faible, encore malade, douce, pensive ; le jeu ne me distrayait pas. En un mot, il me manquait tout pour plaire à Catherine. En outre, il m’était insupportable qu’on fût mécontent de moi, je devenais aussitôt triste, abattue ; je n’avais plus la force de réparer ma faute, de changer à mon avantage l’impression désagréable que j’avais produite, bref, je me perdais tout à fait.

Catherine ne pouvait pas comprendre cela. D’abord elle