Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’inférieur, je m’efforçais de pénétrer tout le sens pénible de ce mot, j’étais frappée par cet adieu douloureux : « Je suis ridicule et j’ai honte moi-même de ton choix. » Qui était-ce ? Quels étaient ces gens ? De quoi souffraient-ils ? Qu’avaient-ils perdu ? Je relisais cette lettre dans laquelle s’exprimait tant de désespoir et dont le sens était si bizarre, si indéchiffrable pour moi. Enfin tout cela devait se résoudre d’une façon quelconque, mais pour moi je n’y voyais pas d’issue, ou j’en avais peur.

J’étais tout à fait malade, quand, un jour, le bruit d’une voiture entrant dans notre cour se fit entendre. C’était Piotr Alexandrovitch qui revenait de Moscou. Alexandra Mikhaïlovna, avec un cri de joie, s’élança à la rencontre de son mari ; mais, pour moi, je demeurai sur place comme clouée. Je me rappelle que je fus moi-même effrayée de mon émotion subite. N’y pouvant tenir, je m’enfuis dans ma chambre. Je ne comprenais pas de quoi j’avais soudainement peur. Un quart d’heure après, on m’appela et on me remit une lettre du prince. Dans le salon, je rencontrai un monsieur qui était arrivé de Moscou avec Piotr Alexandrovitch. À quelques mots que j’entendis, je compris qu’il venait s’installer chez nous pour longtemps. C’était le fondé de pouvoir du prince. Il était venu à Pétersbourg pour des affaires importantes concernant la famille du prince et dont s’occupait depuis longtemps Piotr Alexandrovitch. Il me remit la lettre du prince en me disant que la jeune princesse avait aussi voulu m’écrire, qu’elle avait affirmé, encore au dernier moment, que cette lettre serait écrite, mais qu’elle l’avait laissé partir les mains vides en le priant de me dire qu’elle n’avait absolument rien à m’écrire, que dans une lettre on ne pouvait rien dire, qu’elle avait gâché cinq feuilles de papier et les avait déchirées et qu’enfin il fallait renouer amitié pour échanger une correspondance. En outre elle l’avait chargé de m’affirmer que nous nous verrions bientôt. L’étranger répondit à ma question impatiente qu’il était en effet certain que nous nous reverrions prochainement, car la famille ne devait pas tarder à venir à Saint-Pétersbourg. À cette nouvelle, je ne pus contenir ma joie. Je courus dans ma chambre, m’y enfermai et, fondant en larmes, j’ouvris la lettre du prince. Le prince me promettait une prochaine rencontre avec lui et Catherine. Avec un sentiment pro-