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ouvrit sa porte, et, debout sur le seuil de sa chambre, engagea la conversation avec moi. Je ne me rappelle plus un seul mot de ce que nous nous dîmes alors ; je me souviens seulement que j’étais troublée, interdite, que je m’en voulais de ma timidité et que j’attendais avec impatience la fin de l’entretien ; pourtant je l’avais ardemment désiré, j’y avais songé toute la journée, j’avais préparé d’avance mes questions et mes réponses… De ce soir-là commencèrent nos premières relations d’amitié. Tant que dura la maladie de ma mère, nous passâmes chaque nuit quelques heures ensemble. Peu à peu je triomphai de ma timidité, quoique, après chacune de nos conversations, je restasse encore mécontente de moi. J’éprouvais, du reste, un plaisir secret, une satisfaction d’amour-propre, en voyant que je lui faisais oublier ses insupportables livres. Un jour, par hasard, en plaisantant, nous vînmes à parler de l’accident qui leur était arrivé. Ce fut un moment étrange ; je poussai peut-être trop loin la franchise et la sincérité ; sous l’empire d’une exaltation singulière j’avouai tout à Pokrovsky… je lui dis que je voulais m’instruire, apprendre quelque chose, que j’étais vexée de voir qu’on