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sion, de douleur et de pitié ; rougissant jusqu’aux oreilles, ayant presque les larmes aux yeux, je le priai de se calmer et de ne pas s’offenser de nos stupides polissonneries ; mais il ferma son livre, n’acheva pas la leçon etretourna à sa chambre. Toute la journée je fus bourrelée de remords. L’idée que nos cruautés d’enfants l’avaient presque fait pleurer était pour moi un supplice. Ainsi, nous attendions ses larmes. Ainsi, nous en avions soif ; ainsi, nous avions pu pousser sa patience à bout ; ainsi, nous l’avions forcé, lui malheureux, lui pauvre, à se rappeler sa cruelle destinée ! Le chagrin et le repentir me tinrent éveillée toute la nuit. On dit que le repentir soulage l’âme ; c’est le contraire. Il se mêlait, je ne sais comment, de l’amour-propre à ma douleur. Je ne voulais pas que Pokrovsky me considérât comme un enfant. J’avais déjà quinze ans alors.

À partir de ce jour, je mis mon imagination à la torture, combinant des milliers de plans pour modifier l’opinion de Pokrovsky sur mon compte. Mais j’étais parfois timide ; dans le cas présent, je ne pus me résoudre à rien et me bornai à des rêves (Dieu sait quels ils étaient ! ).