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elle répétait sans cesse que nous étions trop fières, que tant de fierté ne convenait pas à notre position, que nous n’avions pas lieu d’être si fières, et ainsi de suite pendant des heures entières. Je ne comprenais pas alors ces reproches de fierté ; de même ce n’est que maintenant que j’ai découvert, ou du moins que je crois avoir deviné, pourquoi ma mère hésitait à aller demeurer chez Anna Fédorovna. Cette dernière était une méchante femme ; notre existence chez elle ne fut qu’un long supplice. Maintenant encore j’en suis à me demander pourquoi elle nous offrît l’hospitalité. Au début, elle nous témoigna quelques égards ; mais ensuite son caractère véritable se révéla en plein, quand elle se fut convaincue que nous étions absolument seules au monde et que nous n’avions pas où aller. Plus tard elle se montra fort aimable avec moi, d’une amabilité allant même jusqu’à la plus grossière flatterie ; mais, dans le principe, je n’eus pas moins à souffrir d’elle que ma mère. Nous étions continuellement en butte à ses reproches ; elle ne faisait que nous rappeler ses bienfaits. Elle nous présentait aux étrangers comme des parentes pauvres, une veuve et une orpheline