Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/242

Cette page n’a pas encore été corrigée

facile d’accorder la méchanceté et la sentimentalité !)

― Certes, me hâtai-je de reprendre, tout est possible, mais je suis sûr qu’on a été cruel pour toi et qu’ils sont plus coupables envers toi que tu n’es toi-même coupable envers eux. Je ne sais rien de ton histoire, mais il est bien évident qu’une jeune fille comme toi n’entre pas ici par sa propre volonté…

― Quelle jeune fille suis-je donc ?

(Elle dit cela très-bas, mais je l’entendis. ― Diable ! je la flatte ! C’est dégoûtant…, et peut-être adroit.)

Elle se tut.

― Écoute, Lisa, je vais te parler de moi. Si j’avais eu une famille, quand j’étais enfant, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. J’y pense souvent. Si mal qu’on soit dans sa famille, c’est toujours un père, c’est toujours une mère, ce ne sont pas des ennemis, des étrangers. Et les parents vous prouvent leur amour au moins une fois par an. Et puis, vous savez malgré tout que vous êtes chez vous. Mais moi, j’ai grandi sans famille. C’est pour cela peut-être que je suis devenu un aussi… insensible personnage.