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mais il avait l’air de punir de telle façon que les détenus ne lui en gardaient pas rancune ; au contraire, on se souvenait de ses histoires de fouet en riant. Elles étaient du reste peu nombreuses, car il n’avait pas beaucoup d’imagination artistique. Il n’avait inventé qu’une farce, une seule, dont il s’était réjoui près d’une année entière dans notre maison de force ; elle lui était chère, probablement parce qu’elle était unique, et ne manquait pas de bonne humeur. Smékalof assistait lui-même à l’exécution, en plaisantant et en raillant le détenu, qu’il questionnait sur des choses étrangères, par exemple sur ses affaires personnelles de forçat ; il faisait cela sans intention, sans arrière-pensée, mais tout simplement parce qu’il désirait être au courant des affaires de ce forçat. On lui apportait une chaise et les verges qui devaient servir au châtiment du coupable : le lieutenant s’asseyait, allumait sa longue pipe. Le détenu le suppliait… « Eh ! non, camarade ! allons, couche-toi ! qu’as-tu encore ?… » Le forçat soupire et s’étend à terre, « Eh bien ! mon cher, sais-tu lire couramment ? » — « Comment donc, Votre Noblesse, je suis baptisé, on m’a appris à lire dès mon enfance ! » — « Alors, lis. » Le forçat sait d’avance ce qu’il va lire et comment finira cette lecture, parce que cette plaisanterie s’est répétée plus de trente fois. Smékalof, lui aussi, sait que le forçat n’est pas dupe de son invention, non plus que les soldats qui tiennent les verges levées sur le dos de la malheureuse victime. Le forçat commence à lire : les soldats, armés de verges, attendent immobiles : Smékalof lui-même cesse de fumer, lève la main et guette un mot prévu. Le détenu lit et arrive enfin au mot : « aux cieux. » C’est tout ce qu’il faut. « Halte ! » crie le lieutenant, qui devient tout rouge, et brusquement, avec un geste inspiré, il dit à l’homme qui tient sa verge levée : « Et toi, fais l’officieux ! »

Et le voilà qui crève de rire. Les soldats debout autour de l’officier sourient ; le fouetteur sourit, le fouetté même,