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tentais alors. Les rêves les plus doux et les plus violents me venaient après les petites débauches. Ils venaient avec des larmes et des regrets, avec des malédictions et des transports. Il se trouvait des instants d’un enivrement si parfait, d’un tel bonheur, que je n’avais pas la moindre raillerie dans le cœur, je vous le jure. J’avais la foi, l’espérance, l’amour. En effet, je croyais alors aveuglément que par quelque miracle, que par quelque circonstance extérieure, tout cela s’écarterait, s’élargirait soudain ; qu’il se présenterait tout d’un coup un horizon d’activité correspondante, superbe et bienfaisante. et surtout tout à fait accessible (laquelle—je ne savais jamais, mais surtout. — tout à fait accessible) et que je paraîtrais dans le monde, presque couronné de lauriers et sur un cheval blanc. Je ne pouvais m’imaginer jouant un rôle secondaire, et c’est précisément à cause de cela qu’en réalité j’occupais tranquillement la dernière place. Être héros ou dans la boue, il n y avait pas de milieu. C’est ce qui me perdit. Dans la boue, je me consolais en songeant qu’à d’autres moments j’étais un héros ; et le héros recouvrait la boue. Un homme ordinaire doit avoir évidemment honte de se souiller, mais le héros est trop élevé, la boue ne l’atteint pas, il peut donc se salir. Il est à remarquer que ces accès de « tout ce qui est beau et élevé » me venaient au moment de mes petites débauches, et précisément quand je me trouvais tout à fait au