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laire bien gagné dans la tige d’une de ses bottes. Toujours dans l’escalier et, sans se rendre nullement compte que, endormi, toutes ces évolutions, il les accomplissait dans son lit, il se promettait, une fois rentré chez lui, de payer sa pension à son hôtesse, puis il achèterait quelques objets indispensables en faisant bien et dûment constater à qui de droit que des retenues avaient été opérées sur ses appointements, qu’il ne lui restait plus rien à envoyer à sa belle-sœur. Puis il la plaindrait comme il sied et, deux jours d’affilée, il ne parlerait plus que d’elle. Au bout dune dizaine de jours, il reviendrait encore sur sa misère pour que les camarades en fussent bien plus pénétrés.

Toutes ces décisions prises, il s’apercevait qu’André Yéfimovitch, ce petit homme silencieux et chauve, que trois pièces avaient séparé de lui pendant vingt ans sans qu’il en eut entendu jamais une seule parole, était, lui aussi, dans l’escalier du bureau, à compter ses roubles pour déclarer en branlant la tête : « C’est de l’argent ! » Et, descendant l’escalier, il concluait tristement : « Point d’argent, pas de nourriture ! » Sur le perron, il ajoutait : « J’ai sept enfants, monsieur. » Puis, sans scrupule de se conduire comme un fantôme et tout au rebours des lois de la vie réelle, le petit homme chauve s’élevait soudain à une archine et plus au-dessus du sol : sa main qui tremblait traçant en l’air une ligne oblique descendante, il gromme