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ignorer l’existence de la moindre pièce de linge au nombre de ses propriétés mobilières. La logeuse l’a dit : pendant vingt années consécutives, le très cher Sémione Ivanovitch s’était plu à accumuler la pourriture dans le coin à lui dévolu sans en sembler autrement honteux et, outre que, durant toute sa vie terrestre, il n avait point fait cas des chaussettes, mouchoirs et autres vains ornements, elle avait pu voir de ses propres yeux, par le trou d’un vieux paravent, qu’il lui arrivait de ne pouvoir couvrir la nudité de son corps. Ces bruits ne commencèrent à se répandre qu’après le trépas de Sémione Ivanovitch, car, de son vivant — et c’était de là surtout que provenait sa mésintelligence avec les autres pensionnaires — il ne pouvait souffrir, en dépit des plus amicales relations, qu’on se permît de venir fourrer le nez dans son « coin » sans en avoir, au préalable, sollicité l’autorisation. C’était un homme intraitable, concentré et inaccessible aux vains discours. Il n’admettait pas plus les conseils que les railleries et s’entendait à merveille à river son clou sans tarder à qui s’en avisait : « Donner des conseils ! polisson, un farceur de ton espèce ferait beaucoup mieux de s’occuper de soi-même. Voilà ! » Il n’était pas fier et tutoyait volontiers tout le monde, ne supportant pas l’indiscrétion ni, qu’averti de ses manies, on l’interrogeât malicieusement sur le contenu de son coffret. Ce coffret placé sous son lit, il le gardait comme la prunelle de ses yeux, encore