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encore de son cru des circonstances particulièrement infâmes, se montant, s’excitant au gré de sa fantaisie. Elle aura honte elle-même de ses imaginations, mais elle ruminera malgré tout, recommencera la lutte en esprit, inventera des choses jamais arrivées, sous prétexte que cela eut pu être tel, et ne pardonnera rien. Elle voudra peut-être aussi se venger, mais par à-coups, petitement, à l’abri de son trou, incognito, sans foi dans la légitimité de sa vengeance, ni dans sa réussite, et convaincue qu’elle souffrira mille fois plus de toutes ses hésitations que celui dont elle se venge et qui, peut-être, ne s’en apercevra même pas. Même a son lit de mort, elle y songera encore avec tous les intérêts composés… Mais c’est justement en cet état misérable et froid, mi-désespoir mi-incrédulité, en cet ensevelissement de soi-même dans le chagrin, en cette retraite de quarante années sous un parquet, en cette impasse inévitable et équivoque, en toute cette fermentation putride de désirs rentrés, en cette fièvre d’hésitation, de résolutions irrévocables et de scrupules aussitôt venus, c’est en cela que réside la source de cette étrange volupté dont je parlais.

Elle est à ce point subtile et difficile a saisir que les hommes un peu bornés, ou simplement les hommes à nerfs solides n’y peuvent rien comprendre. Je vous entends ricaner : « Peut-être ceux-là n’y comprendront-ils rien non plus qui