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en temps avec sa bête au milieu du brillant salon de ma femme où je dirai des choses fort spirituelles que j’aurai eu le loisir de préparer depuis le matin. A l’homme d’État, je communiquerai mes vues gouvernementales ; au poète, je dirai des vers ; à l’égard des dames, je me montrerai amusant et galant sans inspirer aucune inquiétude à leurs maris. Mais pour tous je serai un grand exemple de soumission au destin et aux décrets de la Providence. Je ferai de ma femme une remarquable femme de lettres ; je la prônerai et je la ferai comprendre au public. Car je crois ma femme pleine des plus hautes qualités et, si l’on considère justement André Alexandrovitch comme notre Alfred de Musset, il sera encore plus juste de la regarder comme une Eugénie Tour.

J’avoue que, malgré que cette folie fut habituelle à Ivan Matveïtch, je ne pus m’empêcher de penser qu’il avait la fièvre et qu’il délirait. On eut dit l’ordinaire Ivan Matveïtch vu à travers une loupe grossissant au moins vingt fois.

— Mon ami. lui demandai-je, espères-tu vivre longtemps ainsi ? Dis-moi. te portes-tu bien ? Comment manges-tu ? Comment dors-tu ? Comment respires-tu ? Que diable, je suis ton ami et tu conviendras que le cas est assez extraordinaire pour justifier ma curiosité.

— Curiosité bien vaine, répondit-il sentencieusement, mais que je consens à satisfaire. Tu me de-