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leurs, du thé et quelques domestiques, c’est tout ce qu’il faut. Inutile de nous en préoccuper davantage… Il y a longtemps que j’attendais l’occasion de faire parler de moi, mais, le moyen, avec ma modeste situation et mon grade insignifiant ? Voici que cette simple bouchée d’un crocodile a tout remis au point. On notera chacune de mes paroles ; la moindre de mes expressions fera penser, on se les redira ; on les imprimera. Je me ferai connaître ! On finira par comprendre quelles capacités on a laissé engloutir dans ce monstre. Les uns diront : « Cet homme, dans un pays étranger, on en eut fait un ministre. Il eut pu gouverner un royaume », tandis que les autres se lamenteront : « Dire qu’on ne lui a pas donné de royaume à gouverner ! » Franchement en quoi suis-je inférieur à un Garnier-Pagès, ou à je ne sais qui ? Ma femme me servira de pendant. J’ai l’intelligence ; elle a la beauté et le charme. « C’est parce qu’elle est belle qu’elle est sa femme », diront les uns, mais les autres rectifieront : « Elle est belle parce quelle est sa femme ! » Bref, il faut que dès demain Elena Ivanovna fasse emplette du Dictionnaire encyclopédique édité sous la direction d’André Kraïevski, afin de pouvoir causer sur toutes choses et qu’elle ait grand soin de lire quotidiennement l’article de tête du Messager de Pétershourg en le comparant avec celui du Cheveu. Je suppose que le propriétaire de ce crocodile ne se refusera pas à m’amener de temps