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restait affalé sans plus de mouvements qu’une solive et paraissait avoir perdu toutes ses facultés naturelles au contact de notre climat humide et si inclément aux étrangers. Cette première rencontre avec le monstre nous laissa tout à fait froids.

— C’est ça, un crocodile ! dit Elena Ivanovna d’un ton traînant et déçu. Je ne me l’étais pas figuré comme ça.

Sans doute le croyait-elle en diamants. Le propriétaire du crocodile, un Allemand, était venu se poser devant nous et nous regardait avec fierté.

— Il a raison, me dit à l’oreille Ivan Matveïtch. Il a raison d’être lier, car il sait être le seul à montrer un crocodile en Russie.

Je mets cette futile observation sur le compte de l’extrême bonne humeur de mon ami, car à l’ordinaire, il était plutôt d’un tempérament jaloux.

— Il il a pas l’air vivant, votre crocodile, reprit Elena Ivanovna qui, choquée par l’aplomb du manager, lui adressa son plus gracieux sourire, dans l’espoir de réduire son impertinence, procédé assez habituel aux femmes.

— Je vous demande pardon, madame, répondit-il en un russe cruellement écorché et, tout aussitôt, il souleva le grillage en fil de fer et se mit à taquiner le crocodile à l’aide d’une baguette. Pour donner signe de vie, le monstre perfide remua légèrement les pattes et la queue, souleva le mufle et fit entendre une sorte de soufflement prolongé.