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tous. Mais je ne m’excuse pas du tout par ce nous tous. Quant à moi, je n’ai fait que porter à l’extrême limite, dans ma vie, ce que vous n’osiez pas amener même à moitié, par lâcheté ; et encore vous teniez votre couardise pour de la prudence, et vous vous consoliez en vous trompant vous-mêmes. Ainsi je suis peut-être plus vivant que vous. Mais regardez donc plus attentivement ! Nous ne savons même pas d’ailleurs, où vit ce qui est vivant, en quoi cela consiste, comment cela s’appelle ? Laissez-nous seuls, sans livres, et aussitôt nous nous perdrons, nous nous embrouillerons, nous ne saurons à quoi tenir, à quoi nous attacher ; nous ne saurons ce qu’il faut aimer ou haïr, ce qu’il faut estimer ou mépriser ! Les hommes mêmes nous seraient à charge, les hommes véritables, avec une chair et un sang propres à eux, nous en aurions honte, nous les regarderions comme un déshonneur. Nous cherchons à être un type d’homme commun, qui n’a jamais existé. Nous sommes des mort-nés, et il y a longtemps que nous naissons de pères qui ne sont pas vivants, et cela nous plaît de plus en plus. Nous y prenons goût. Bientôt nous voudrons naître d’une idée. Mais cela suffit.

D’ailleurs, les Mémoires de cet être paradoxal ne se terminent pas ici. Il n’a pas su résister et il a continué. Mais il nous semble aussi qu’on peut les clore à cette page.