Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/198

Cette page n’a pas encore été corrigée

précipitai à sa poursuite. Elle n’avait pas eu le temps de faire deux cents pas quand je courus dans la rue.

Il faisait doux, la neige tombait épaisse, serrée, presque verticalement, couvrant le trottoir et la rue déserte d’un épais matelas. Point de passants : on n’entendait aucun son. Les lanternes vacillaient tristes et inutiles. Je fis deux cents pas environ, en courant, jusqu’au carrefour et je m’arrêtai. Où était-elle allée ? Pourquoi courais-je après elle ?

Pourquoi ? Tomber devant elle, sangloter de repentir. embrasser ses pieds, implorer mon pardon ! Je le voulais bien, ma poitrine se brisait et jamais, jamais je ne me rappellerai ce moment avec indifférence. « Mais, pourquoi ? pensai-je. Est-ce que je ne la haïrai pas demain précisément parce que. aujourd’hui, je lui aurai embrassé les pieds ? Lui donnerai-je du bonheur ? N’ai-je pas eu l’occasion de m’apprécier aujourd’hui encore, pour la centième fois ? Est-ce que je ne la torturerai pas ? »

J’étais sur la neige, cherchant à percer le brouillard obscur, et je réfléchissais.

« N’est-il pas mieux, ne vaut-il pas mieux, me dis-je après, chez moi, en laissant vagabonder ma fantaisie, cherchant à étouffer les vives souffrances de mon cœur par des imaginations, ne vaut-il pas mieux qu’elle emporte pour toujours cette injure ? Car l’injure, c’est une purification : c’est la conscience la plus douloureuse et la plus cuisante ! Demain, j’eusse souillé son âme et fatigué son