Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’est pas une maladie comme la fièvre. Jusqu’au dernier moment la malade espère et prétend qu’elle se porte bien. Elle se fait illusion sur son état.

« C’est avantageux pour la patronne. Ne t’inquiète pas, c’est la vérité : Tu as vendu ton âme, et puis tu dois de l’argent, donc, tu n’oses pas dire un mot. Et quand tu seras mourante, on t’abandonnera, on se détournera de toi — car, alors, tu ne pourras rien rapporter. On te reprochera encore de prendre de la place, de ne pas mourir assez vite. Tu demanderas à boire en vain, on te servira avec des insultes : « Quand donc mourras-tu, bougresse ; tu nous empêches de dormir, tu gémis, cela dégoûte les clients. » C’est certain ; j’ai entendu prononcer ces paroles. On te mettra expirante dans un coin puant du sous-sol noir et humide. Couchée là-bas, toute seule, que ne penseras-tu pas ? Tu mourras, des mains étrangères t’enseveliront à la hâte, en grognant, avec impatience ; personne ne te bénira, personne n’aura un soupir de regret pour toi ; pourvu que l’on soit vite débarrassé de toi. On t’achètera un cercueil, on t’emportera comme on a emporté aujourd’hui cette malheureuse, et on te pleurera au cabaret. Dans la fosse, il y aura de la boue, de la saleté, de la neige, va-t-on faire des façons avec toi ! — « Descends-la, Jean ; c’est sa destinée », et on t’y fourre les pieds en l’air, voilà comment. — « Raccourcis la corde,