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les années se développa un besoin d’amis, de créatures humaines. J’essayai de me rapprocher de quelques-uns ; mais ce rapprochement forcé prenait fin spontanément. Une fois, il m’arriva d’avoir un ami. Mais j’étais déjà despote dans l’âme ; je voulais avoir un pouvoir illimité sur son cœur, je voulais lui inspirer le mépris du milieu dans lequel il se trouvait : J’exigeai de lui une rupture hautaine et définitive avec ce milieu. Mon amitié passionnée l’effraya ; je le faisais fondre en larmes, avoir des convulsions. C’était une âme naïve et qui se livrait. Mais dès qu’il se fut livré entièrement à moi, je le détestai aussitôt et le repoussai, — comme si je n’avais eu besoin de lui que pour remporter cette victoire, pour l’assujettir. Mais je ne pus vaincre tout le monde ; mon ami ne ressemblait non plus à personne et présentait une rare exception.

Mon premier devoir après ma sortie de l’école fut de quitter ce service spécial auquel je me préparais, de briser tous les liens, de maudire le passé et de jeter de la cendre dessus…

Le diantre en soit, pourquoi me suis-je traîné après tout cela chez Simonov !…

Je me levai de bonne heure le matin, je sautai du lit tout ému, comme si tout cela devait s’accomplir à l’instant. Mais j’avais la certitude qu’aujourd’hui allait avoir lieu, immanquablement, un changement radical dans ma vie. C’était peut-être un manque d’habitude, mais il me semblait à chaque