Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/108

Cette page n’a pas encore été corrigée

sitôt et je m’emmurai de tous dans un orgueil démesuré, douloureux et timide. Leur grossièreté me révoltait. Ils se moquaient cyniquement de mon visage, de ma tournure gauche ; et cependant, que leurs propres visages étaient stupides ! Dans notre école, l’expression des visages s’abêtissait et se transformait. Que de beaux enfants qui entraient chez nous. Au bout de quelques années ils étaient dégoûtants à voir. Déjà, à seize ans, je les regardais avec un morne étonnement. Même alors j’étais frappé de la petitesse de leurs raisonnements, de l’insanité de leurs occupations, de leurs jeux, de leurs conversations. Il y avait des choses si indispensables qu’ils ne comprenaient pas. Aucuns sujets si inspirés, si remarquables qu’ils fussent ne les intéressaient, si bien que malgré moi je les considérais au-dessous de moi. Ce n’était pas la vanité blessée qui m’y poussait, et je vous en supplie, ne m’adressez pas des phrases d’une banalité écœurante. « C’est que moi je rêvais, tandis qu’eux comprenaient déjà la vie réelle. » Ils ne comprenaient rien du tout, aucune vie réelle, et je vous jure que c’est là ce qui me révoltait le plus contre eux. Au contraire, ils acceptaient avec une bêtise fantastique la réalité la plus évidente, qui sautait aux yeux, et déjà ils avaient pris l’habitude de ne s’incliner que devant le succès. Tout ce qui était juste, mais humilié et opprimé, ils en riaient honteusement et cruellement. La position était con-