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est venu hier chez moi, — je reconnais que j’ai l’humeur caustique, que mon caractère est affreux, mais, Seigneur ! quelle signification on a donnée à d’inoffensives saillies ! Il est venu hier, après votre visite ; nous étions en train de dîner, il a parlé, parlé. Je me suis contenté d’écarter les bras, mais en moi-même je me disais : « Ah ! mon Dieu… » C’est vous qui l’avez envoyé, n’est-ce pas ? Asseyez-vous donc, batuchka ; asseyez-vous, pour l’amour du Christ !

— Non, ce n’est pas moi ! Mais je savais qu’il était allé chez vous et pourquoi il vous avait fait cette visite, répondit sèchement Raskolnikoff.

— Vous le saviez ?

— Oui. Eh bien ! qu’en concluez-vous ?

— J’en conclus, batuchka, Rodion Romanovitch, que je connais encore bien d’autres de vos faits et gestes ; je suis informé de tout ! Je sais qu’à la nuit tombante vous êtes allé pour louer l’appartement, vous vous êtes mis à tirer le cordon de la sonnette, vous avez fait une question au sujet du sang, vos façons ont stupéfié les ouvriers et les dvorniks. Oh ! je comprends dans quelle situation morale vous vous trouviez alors… Mais il n’en est pas moins vrai que toutes ces agitations vous rendront fou ! Une noble indignation bouillonne en vous, vous avez à vous plaindre de la destinée d’abord, et des policiers ensuite. Aussi allez-vous ici et là pour forcer en quelque sorte les gens à formuler tout haut leurs accusations. Ces commérages stupides vous sont insupportables, et vous voulez en finir au plus tôt avec tout cela. Est-ce vrai ? Ai-je bien deviné à quels sentiments vous obéissez ?… Seulement vous ne vous contentez pas de vous mettre la tête à l’envers, vous la faites perdre aussi à mon pauvre Razoumikhine, et c’est vraiment dommage d’affoler un si brave garçon ! Sa bonté l’expose plus que tout autre à subir la contagion de votre maladie… Quand vous serez calmé, batuchka, je vous raconterai…