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lèvres. Les exclamations, les lazzi de la foule le laissèrent, d’ailleurs, indifférent, et ce fut avec calme qu’il prit la direction du commissariat de police. Chemin faisant, une seule vision attirait ses regards ; du reste, il s’était attendu à la rencontrer sur sa route, et elle ne l’étonna pas.

Au moment où, sur le Marché-au-Foin, il venait de se prosterner pour la seconde fois jusqu’à terre, il avait aperçu à cinquante pas de lui Sonia. La jeune fille avait essayé d’échapper à sa vue en se cachant derrière une des baraques en bois qui se trouvent sur la place. Ainsi, elle l’accompagnait, tandis qu’il gravissait ce Calvaire ! Dès cet instant, Raskolnikoff acquit la conviction que Sonia était à lui pour toujours et le suivrait partout, dût sa destinée le conduire au bout du monde.

Le voici arrivé au lieu fatal. Il entra dans la cour d’un pas assez ferme. Le bureau de police était situé au troisième étage. « Avant que je sois monté là-haut, j’ai encore le temps de me retourner », pensait le jeune homme. Tant qu’il n’avait pas avoué, il aimait à se dire qu’il pouvait changer de résolution.

Comme lors de sa première visite, il trouva l’escalier couvert d’ordures, empuanti par les exhalaisons que vomissaient les cuisines ouvertes sur chaque palier. Ses jambes se dérobaient sous lui, tandis qu’il montait les marches. Un instant il s’arrêta pour reprendre haleine, se remettre, préparer son entrée. « Mais à quoi bon ? Pourquoi ? » se demanda-t-il tout à coup. « Puisqu’il faut vider cette tasse, peu importe comment je la boirai. Plus elle sera amère, mieux cela vaudra. » Puis s’offrit à son esprit l’image d’Ilia Pétrovitch, le lieutenant Poudre. « Au fait, est-ce à lui que je vais parler ? Ne pourrais-je m’adresser à un autre, à Nikodim Fomitch, par exemple ? Si j’allais de ce pas trouver le commissaire de police à son domicile personnel et lui raconter la chose dans une conversation privée ?… Non, non ! je parlerai à Poudre, ce sera plus vite fini… »