Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vant personne, il allait appeler à haute voix, quand tout à coup, dans un coin sombre, entre une vieille armoire et une porte, il découvrit un objet étrange, quelque chose qui semblait vivant. En se penchant avec la lumière, il reconnut que c’était une petite fille de cinq ans environ ; elle tremblait et pleurait ; sa petite robe était trempée comme une lavette. La présence de Svidrigaïloff ne parut pas l’effrayer, mais elle fixa sur lui ses grands yeux noirs avec une expression de surprise hébétée. De temps à autre elle sanglotait encore, comme il arrive aux enfants qui, après avoir longtemps pleuré, commencent à se consoler. Son visage était pâle et défait ; elle était transie de froid, mais — « par quel hasard se trouvait-elle là ? sans doute elle s’était cachée dans ce coin et n’avait pas dormi de toute la nuit ». Il se mit à l’interroger. S’animant tout à coup, la fillette commença d’une voix enfantine et grasseyante un récit interminable où il était question de « maman » et de « tasse cassée ». Svidrigaïloff crut comprendre que c’était une enfant peu aimée : sa mère, probablement une cuisinière de l’hôtel, s’adonnait à la boisson et la maltraitait sans cesse. La petite fille avait cassé une tasse, et, craignant une correction, elle s’était, dans la soirée de la veille, enfuie de la maison par une pluie battante. Après être restée longtemps dehors, elle avait fini par rentrer secrètement, s’était cachée derrière l’armoire et avait passé toute la nuit là, tremblant, pleurant, effrayée de se voir dans l’obscurité, plus effrayée encore à la pensée qu’elle serait cruellement battue, et pour la tasse cassée, et pour la fugue dont elle s’était rendue coupable. Svidrigaïloff la prit dans ses bras, la porta à sa chambre et, l’ayant déposée sur son lit, se mit en devoir de la déshabiller. Elle n’avait pas de bas, et ses chaussures trouées étaient aussi humides que si elles avaient trempé toute la nuit dans une mare. Quand il lui eut ôté ses vêtements, il la coucha et l’enveloppa avec soin dans la couver-