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dantes ; il exigeait seulement la vénération de l’art, le dédain des succès faciles.

« Fais ce que tu veux, disait-il, pourvu que tu le fasses avec un religieux respect de la langue et du rythme. » Ceci explique comment Leconte de Lisle, tout en accueillant les jeunes « Décadents », refusait absolument de les suivre dans la voie où ils s’engageaient. Leurs innovations, leurs audaces l’étonnaient ; elles le scandalisaient dans sa religion de la forme pure, pleine et définitive ; il s’indignait de voir introduire dans la poésie française les libres allures du vers anglais ; et il continuait de croire que l’on ne confie rien « d’éternel » à une langue « toujours changeante ».

Aussi bien, durant toute sa vie, Leconte de Lisle ne cessa de se passionner pour l’esthétique de son art, ce qui le rendait malaisé à satisfaire et le poussait à émettre sur ses confrères des jugements brefs et aigus, qu’il répétait volontiers, et dont quelques-uns se retrouvent notés dans ses papiers[1]. Il appliquait aux autres les sévérités


  1. Lamartine : Imagination abondante, intelligence douée de mille désirs ambitieux et nobles plutôt que d’aptitudes réelles. Nature d’élite ; artiste incomplet ; grand poète de hasard. A laissé derrière lui, comme une expiation, une multitude d’esprits avortés, cervelles liquidées et cœurs de pierre, misérable famille d’un père illustre.
    Alfred de Musset : Poète médiocre, artiste nul, prosateur fort spirituel.
    Victor Hugo : Le plus grand poète lyrique connu. Excessif en tout, puéril et sublime, inépuisable en images splendides et incohérentes, merveilleux rêveur, avec d’extraordinaires lacunes intellectuelles.
    Ponsard : Piètre versificateur, exporté de province. Lourd, gauche et vulgaire. Raturé, biffé, disparu. Coup monté par Janin, Lireux et autres, contre Hugo.
    Louis Bouilhet : Le dernier romantique de l’école orthodoxe. Sans ori-