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sions avaient apportés dans les esprits. Ces chefs-d’œuvre antiques qui, à travers elles, avaient semblé pompeux et déclamatoires, apparurent enfin dans toute la finesse de leur grâce sobre. Ce n’était plus la Grèce de Fénelon ou de Bitaubé, c’était la réalité, dans sa simplicité, dans sa rudesse[1]. Aussi bien, ces traductions forment aujourd’hui la première et très solide assise de l’œuvre du poète.

Leconte de Lisle achevait de se former dans cette besogne. Il y perfectionnait cette intelligence de la plastique grecque qui devait être la religion de sa vie, mais il était si misérablement rétribué de sa peine qu’après bien des années écoulées, il ne pouvait parler sans amertume de ces jours passés :

« J’ai dépensé sept années dans mes traductions, disait-il, elles me rapportèrent sept mille francs, et je m’y crevai les yeux. »

L’empereur Napoléon, informé par le peintre Jobbé-Duval de la douloureuse situation de Leconte de Lisle, lui dépêcha une personne de son entourage, pour lui offrir une pension, avec cette réserve, qu’il dédierait les traductions au Prince Impérial.

« Il serait sacrilège, répondit le poète, de dédier ces chefs-d’œuvre antiques à un enfant trop jeune pour les comprendre. »

  1. Voir la préface de la Ire édition (Paris, 1861) de la traduction des Idylles de Théocrite et des Odes anacréontiques. Ce curieux morceau, plein d’une ironie caustique et parfois amère contre le mode de traduction accrédité depuis le XVIIe siècle, a été supprimé dans l’édition ultérieure.