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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Pour Leconte de Lisle, la nécessité de se produire en public fut une épreuve. Bien qu’il s’efforçât de ne rien faire paraître de ses sentiments sur son visage qui prit, dès lors, son expression définitive de calme marmoréen, il laissa, malgré tout, percer son émotion par un peu de confusion dans le débit : sa voix, d’ordinaire vibrante, profonde, chaudement timbrée, parut tout à coup s’être assourdie, voilée ; du moins, dans le long recueillement où il avait écrit ce discours, le poète était-il bien assuré de n’avoir fait de concession à aucune nécessité académique, littéraire, politique ou mondaine. Il dit, clairement, ce qu’il avait à dire : son admiration pour un poète « de la race désormais éteinte, des génies universels » ; son opinion personnelle, intransigeante, sur les faits historiques, politiques, philosophiques et religieux, qui avaient été la substance de l’œuvre colossale d’Hugo.

Lorsque Van Dyck peignait un de ses contemporains il l’habillait de son idéal personnel. Qu’il fut roi ou drapier, il lui communiquait de sa distinction, de son élégance propre ; il lui prêtait ses mains effilées d’homme de bonne race. Dans un degré plus ou moins apparent, tous les peintres de génie en ont usé de même ; ils ont ajouté de leur tempérament, de leur nature, de leur goût propre, à chacun des modèles qu’ils se proposaient de peindre.

À son insu Leconte de Lisle a versé dans cette pratique. Le portrait d’Hugo qu’il a présenté à l’Académie, dans le cadre de ce discours de Réception, ressemble par plus d’un trait à Leconte de Lisle lui-même. Dans Hugo c’est le lyrique, que — lyrique avant tout — Leconte de Lisle salue avec une admiration presque religieuse. D’autre part, l’occasion était trop favorable pour que l’orateur ne cédât pas au désir de montrer à ses auditeurs comment, à travers toute l’Histoire de la Poésie, les heures de sa grandeur correspondent à l’explosion des joies naturelles et païennes, les jours de sa faiblesse au triomphe de la discipline chrétienne ou de l’esprit