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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

S’il donne, d’aventure, un amant à cette disgraciée, c’est le loup, roi du Hartz, qui, dans le ciel étincelant d’hiver :


« … Regarde resplendir la lune large et jaune[1]. »


S’il s’avise qu’elle « pend du ciel par la chaîne d’or des étoiles vives[2] », c’est pour regretter qu’elle prolonge inutilement sa demi clarté dans des ténèbres. Il voudrait la voir s’éteindre dans le gouffre noir afin que rien ne trouble plus la nuit et le silence[3].

Le fait est, qu’après le Soleil, le panthéiste que fut Leconte de Lisle a surtout adoré la Nuit. La nuit, qui roule de l’est, avec la figure de la Mort ; qui endort les villes, les rivages, la mer, l’horizon ; qui s’empare des continents muets ; qui escalade les cimes ; qui arrive, comme une haute marée, déferle, et couvre tout.

Un tel culte est l’aboutissement d’une philosophie de désillusion. Mais avant d’en venir là le poète devait passer par l’adoration de la beauté des choses. Et en effet, l’enfant créole savoura longuement le spectacle du monde comme la plus voluptueuse et la plus enivrante des réalités, avant de le considérer philosophiquement comme une apparence décevante et vaine.

À ces élans, appartiennent les peintures que Leconte de

  1. « L’Incantation du loup ». Poèmes Tragiques.
  2. « La Lampe du ciel ». Poèmes Tragiques.
  3. Ce parti pris d’ostracisme donne toute sa valeur à une pièce que le poète écrivit, à la fin de sa vie — 1893. Le poète oublie les préventions qu’il a nourries contre cette lumière incertaine et ceux qui vivent dans sa religion fade :


    « … Ô, Divine, salut, viens à nous qui t’aimons !
    Descends d’un pied léger, par la pente des monts.
    Au fond des bois touffus, pleins de soupirs magiques ;
    Sur la source qui dort penche ton front charmant,
    Et baigne son cristal du doux rayonnement
    De tes beaux yeux mélancoliques… » « Hymnes Orphiques ».

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