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LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

la distinguant de ce qui n’était pas elle. Il recourut à ce procédé de logique qu’on nomme « la définition par les contraires ». Pour dégager sa façon individuelle de sentir et sa propre originalité, il analysa donc « l’Idée du Divin » telle que, finalement, elle se dégage de l’œuvre d’Hugo. Ainsi Leconte de Lisle obligeait ceux, qui voulaient voir en lui un disciple irrégulier du « Maître », à percevoir les différences qui séparent les conceptions optimistes du poète de la Légende des Siècles du pessimisme de l’auteur des Poèmes Tragiques : Il remarque que la philosophie de Victor Hugo, tient, « à la fois du panthéisme et du déisme. » Dieu, pour lui, est tantôt « l’Être infini, indéterminé, le monde intellectuel et le monde moral, la nature tout entière, la vie universelle avec ses biens et ses maux » ; tantôt Dieu se distingue des êtres et des choses, affirme sa personnalité, « veut, agit, » détermine les pensées, les actes, amène les catastrophes physiques, relève les faibles, punit les oppresseurs en les incarnant de nouveau dans les formes les plus abjectes de l’animalité, ou dans celles de la matière inerte :

« … Or, Dieu, conclut Leconte de Lisle, étant, selon le poète des Châtiments, toute justice et toute bonté, et les âmes qu’il crée n’étant déchues et corrompues que par l’ignorance de la vérité, ignorance où elles se complaisent, ou qui leur est infligée, a voulu que toutes fussent appelées, si elles le désirent, à la réhabilitation définitive. Mais leur immortalité est conditionnelle, et beaucoup d’entre elles sont condamnées à l’anéantissement total. Telle est la foi de Victor Hugo… Il est enivré du Mystère éternel, il dédaigne la Science, qui prétend expliquer les origines de la vie, il ne lui accorde même pas le droit de le tenter, et il se rattache en ceci, plus qu’il ne se l’avoue à lui-même, aux dogmes arbitraires des religions révélées. Il croit puiser dans sa foi profonde en une Puissance infinie, rémunératrice et clémente, la généreuse compassion qui l’anime pour les faibles, les deshérités, les misérables, les proscrits auxquels il offre si noblement un asile. Il lui