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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« … Les émotions personnelles n’ont laissé que peu de traces dans ce livre. Bien que l’art puisse donner, dans une certaine mesure, un caractère de généralité à tout ce qu’il touche, il y a, dans l’aveu public des angoisses du cœur et de ses voluptés, non moins amères, une vanité et une profanation gratuites ».

Mais il ne voulait point être accusé de lancer cette profession de foi seulement contre ses rivaux, les poètes contemporains, il osa appliquer sa règle à Dante, à Shakespeare, à Milton. Il dit que, comparés aux splendeurs impersonnelles de la beauté grecque, leur langue et leurs conceptions étaient « barbares ». Il affirma que la raison de cette infériorité était, que ces poètes n’avaient pas été des impassibles, des « réceptifs », et, qu’ainsi, ils n’avaient réussi à prouver que la force et la hauteur de leur génie « individuel ». Il reproche à Byron d’avoir manqué, malgré ses incontestables qualités de lyrisme et de passion, de force objective : Le Giaour, Manfred et Cain sont restés « d’uniques épreuves de sa personnalité ». Il est pour les disciples de Lamartine d’autant plus impitoyable qu’il n’a pas ménagé le Maître lui-même ; il rit de leurs larmes, de leurs lamentations : il prie qu’on ne s’attendrisse pas trop sur ces souffrances car, si chez eux, « l’esprit est tendre, le cœur est dur. »

Pour flétrir l’amour-propre exagéré de soi, qui s’exaspère, chez tant de médiocres imitateurs de ces grands hommes, il invente un mot heureux : « l’autolâtrie ». Enfin, il se frappe publiquement la poitrine dans la crainte d’avoir inséré lui-même, dans son deuxième recueil : Poèmes Antiques[1] quelques pièces amères, où la souffrance d’amour éclate malgré le poète et arrache, çà et là, des cris qu’il aurait voulu étouffer, parce qu’il les juge : « trop personnels. »

Fort de son orthodoxie, Leconte de Lisle adresse, aux poètes de son temps cette apostrophe qui fait penser aux éclats

  1. 1855