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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« Le malheureux ! s’écrie Leconte de Lisle, il a voulu nous montrer un poète, il n’a su peindre qu’un mendiant ! »

Ses principes juvéniles sont si fermes en la matière qu’il échappe délibérément aux suggestions de l’opinion publique, à l’enthousiasme extérieur. Dans une lettre, écrite au moment où le retour des cendres de Napoléon à Paris fit souffler à travers l’Europe un vent de lyrisme il écrit :

« … Le gouvernement, vient d’obtenir de l’Angleterre la permission de transporter, en France, les cendres de l’Empereur. On l’ensevelira dans l’intérieur des Invalides et Victor Hugo s’est chargé de l’hymne d’apothéose. Tout cela est magnifique ; mais comme je ne suis pas républicain pour des prunes, j’ai fabriqué cette pièce intitulée : Les Cendres de Napoléon :


« … Cendres de l’aigle, arrête ! Il n’est pas encor temps.
Ne viens pas rappeler qu’il étouffa vingt ans
La Vierge-Liberté qui naissait sur le monde !… etc.[1] »


Et les années ne détendront pas ce parti pris. Lorsque, trente ans plus tard, dans son résumé historique intitulé : Histoire de la Révolution française (1870), il se trouvera dans l’obligation de prononcer le nom de Napoléon, il n’aura pas un mot d’approbation pour caractériser les qualités diverses et splendides, qui firent de l’Empereur le type du surhomme. Il fermera son traité d’histoire sur cette négation obstinée : « Le coup d’État était accompli. Il y eut pour des années qu’une volonté en France : celle de Bonaparte. Pendant quinze ans il régna despotiquement, fit périr trois millions de Français dans une suite de guerres insensées, ramena deux invasions désastreuses, et alla mourir prisonnier des Anglais à Sainte-Hélène. » Le rôle politique, social, législatif de Napoléon, sera volontairement laissé dans l’oubli[2].

  1. Lettre à son ami breton le poète Rouffet, à Rennes, en 1840.
  2. Le jour où Leconte de Lisle entra à l’Académie française, il tint à établir qu’il venait s’asseoir sous la coupole sans rien céder de ses in-