Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

qu’il garda le plus souvent en face de cet idéal adoré une rigidité quelque peu respectueuse. Les néophytes, qui, en pleine conscience de pensée, se sont détachés de croyances primitives et naturelles pour se soumettre à la discipline d’une religion intellectuelle, ont de ces réserves d’attitude. Ce fut seulement à la fin de sa vie que l’admiration de Leconte de Lisle pour la Grèce se détendit et que, au delà du respect, on sentit passer, dans ses Hymnes Orphiques[1], cette « grâce ionienne », dont Gauthier avait, autrefois, souhaité à l’auteur des Poèmes Antiques de sentir le souffle caresser ses visions marmoréennes.


    de M. France pour l’antiquité le rapprochait de Leconte de Lisle naturellement plus que de ses autres maîtres : mais, au fond, il en avait une tout autre conception. Chez Leconte de Lisle l’artiste était païen mais l’homme l’était peu. Le puritain hautain qu’il fut y répugnait. Aussi me permettrai-je de croire que ce qui restera de son œuvre, ce sera bien plutôt ses Poèmes Barbares et ses Poèmes Tragiques, que ses imitations et ses études d’après l’antique — une antiquité où il resta toujours un peu le barbare qu’il était foncièrement. Un barbare ébloui, chaste et chagrin. L’art antique fut la glorification candide, et savante aussi — de la joie de vivre : certes, il ne dépend d’aucun de nous d’être joyeux ; mais l’âme orgueilleuse et triste, Leconte de Lisle semblait incapable de concevoir la joie. En cette antiquité, à travers laquelle il se promenait, un peu comme un visiteur dans un musée. Anatole France paraît un indigène, qui, sans effort, se ressouvient des choses, à mesure qu’il semble les apprendre. »

  1. Hymnes Orphiques. Ces dix poèmes semblent une sorte de litanie que le poète murmure pour soi-même, avant de fermer les yeux sur la lumière du monde, en l’honneur de ces Dieux qu’il a si pieusement servis. Parus dans les Derniers Poèmes, 1894, ils ont pour titres : Zeus ; Les Nymphes ; Apollon ; Sèléné ; Artèmis ; Aphrodite ; Nux ; Les Néréides ; Adonis ; Les Erynnies ; Pan.