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chauffer la boîte de cassoulet de Gilbert, et Bréval a replié la lettre qu’il lisait. Avec un peu d’angoisse dans la poitrine on écoute.

— Y a les bicots qui sont à Fismes, explique Bouffioux, le patelin en est plein, toute la division marocaine… Les infirmiers divisionnaires sont arrivés à Jonchery, on les a amenés en camions… Il paraît que le deuxième corps arriverait de Lorraine… Et puis de l’artillerie, alors, des pièces maous, il faut voir ça…

Toute une armée surgit de leurs paroles décousues : des cavaliers, des nègres, des aviateurs, des zouaves, du génie. Il paraît même que la légion en serait, mais cela Bouffioux ne le jurerait pas : c’est le cycliste du trésorier qui l’a entendu dire au téléphone. Enfin, on a tout prévu : les brancardiers pour nous ramasser et les aumôniers pour la messe des morts.

Je suis resté une minute interloqué, mon sourire oublié sur mes lèvres comme un drapeau du 14 juillet qu’on n’aurait pas pensé à décrocher. « Non, il faut encore aller faire les fous dans la plaine ? Eh bien ! vrai… » Et mon sourire s’est décroché tout seul.

Les camarades non plus ne rient pas : rien qu’en tournant la tête, ils pourraient voir, par le créneau, ceux de la dernière attaque, restés couchés dans l’herbe haute. Aucun ne sort un médaillon de sa poche pour l’embrasser furtivement, aucun non plus ne s’écrie, comme dans les contes : « Enfin ! On va sortir des trous ! » Comme mot historique, Sulphart dit simplement : « Ah ! les tantes… » et sans savoir lui-même à qui s’adresse le compliment.

Muets, nous écoutons les hommes de soupe qui parlent d’abondance, l’un relayant l’autre. Ils rangent