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veulerie générale écœure Sulphart. Il hausse les épaules, se venge d’un coup de pied dans une gamelle qui traîne, et peut-être pour ne pas entendre ses boyaux gémir, il entreprend un âpre réquisitoire où ses camarades, les cuisiniers et le haut commandement sont comparés à des cochons de mœurs abominables et plus particulièrement à de la paille souillée par les bestiaux. Il trouve même le courage de ricaner.

— On les aura… Qui… On les aura, les lentilles aux cailloux et le macaroni à l’eau froide. Et pendant ce temps-là, les cuistots se tapent la tête avec les autres vaches.

Je connais Sulphart et ses opinions excessives : « les autres vaches » ne peuvent désigner que l’ensemble des individus qui ne prennent pas les tranchées, sans distinction de sexe, de costume, ni de grade. Ensuite, il se perd dans des projets de réformes d’ordre militaire où il est expressément convenu que « tous les mecs seront cuistots, chacun son tour », et qu’ils seront condamnés « à bouffer de leur tambouille au lieu de se les caler avec des frites, parce que, comme ça, ils mettront un peu plus de goût à préparer la cuistance des poilus ». Telles sont les paroles d’un juste.

Mais les autres, qui n’ont pas encore faim, n’ont pas le moindre mot d’approbation : Bréval écrit, Broucke ronfle, Vairon sifflote. Alors définitivement dégoûté, Sulphart se tait, sort son couteau et se met à découper en tartines la boue durcie qui alourdit ses godillots. À ce moment, un bruit familier lui fait relever la tête.