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— Tu vas à la route ? Descends jusqu’au pommier, après t’as plus qu’à suivre le sentier. Mais grouille-toi, tu sais, ça siffle dur quand ils se mettent à tirer.

Il repartit. Des perdrix s’éveillèrent et filèrent dans ses jambes, d’un vol lourd. Il dut encore réprimer un brusque mouvement de recul, et les mains glacées il chargea son fusil. Ses yeux fouillaient l’ombre : pas un arbre. À trois cents mètres des gourbis il se sentait seul, déjà menacé, loin de tout. Il n’avait pas peur, cependant, c’était ce grand silence, ce vide, cette ombre qui l’inquiétaient.

La fusillade reprit d’un coup et quelques balles sifflèrent autour de lui. Il ne les craignait pas. Il croisa seulement son fusil, de façon que la crosse lui protégeât le ventre, et il baissa la tête, pensant naïvement qu’ainsi rien ne pouvait plus l’atteindre. Les fusées seules le guidaient, et l’invisible fusillade. Il marchait péniblement, arrachant à chaque pas ses souliers lourds de glèbe. Parfois un bruit furtif le saisissait et, tombé à genoux, doigt à sa gâchette, il épiait…

Les tranchées, au ruisseau, ne se joignaient pas. Si des Allemands s’étaient glissés par là ? Il attendait un instant et repartait, plus courbé. Un sentier coupait les champs. Était-ce le bon ?… Il le suivit, au hasard. Le son brutal de la fusillade se faisait plus proche. Enfin il distingua la rangée d’arbres de la route et se laissa glisser le long du talus. Dans le fossé traînaient des équipements, des armes, des sacs ; contre un tas de cailloux un mort était couché. Gilbert détourna les yeux et franchit rapidement la chaussée. La quatrième compagnie était déployée en tirailleurs, les soldats accrochés au flanc pierreux du talus. Assis