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on entendait encore tirer, derrière le mouvant rideau. La fumée s’écarta. Rien ne bougeait plus… Si… Un bras remuait encore, remuait à peine, traînant son fanion dans l’herbe. « Rouge ! Allongez le tir… Allongez le tir… »



Des lumières se cachaient sous la paillote. Des rires et des voix s’y blottissaient, frileusement. C’était l’heure d’avant dormir. Le vent froid qui passait dans les branches avec un bruit d’écluse, apportait des tranchées les coups de feu égarés des sentinelles anxieuses.

Puis, brusquement, le long craquement d’un feu de salve déchirait le silence, les fusées biffaient la nuit de leur trait livide et la fusillade reprenait, comme un feu qu’on ravive d’une bourrée de bois mort.

— Tiens, ça recommence, disaient les camarades.

Et Vairon, la couverture au nez, ronchonnait.

— Pourvu qu’ils ne demandent pas du renfort !

Soucieux, inquiet peut-être, le capitaine Cruchet se promenait nerveusement sur le chemin ; parfois, il grimpait sur le talus, derrière les vignes, et inspectait les grands champs noirs, vers la bergerie. C’était là qu’on tirait. Pourtant on ne voyait rien. La nuit était opaque, sans un éclair, sans une flamme d’obus et les fusées qui crevaient au-dessus de la route en grandes bulles lumineuses ne découvraient que de beaux arbres taciturnes dans les champs endormis.

Que se passait-il ? On ne savait pas. Les Allemands peut-être attaquaient la route. La fusillade se resserrait sur deux cents mètres à peine, et elle était comme