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regroupant à mesure qu’ils approchaient de la tranchée comme s’ils avaient craint de l’aborder seuls. Sur cette troupe massée, la mitrailleuse bloqua son tir, et, presque d’un coup, les hommes s’abattirent.

Un seul cri douloureux jaillit de nous. Puis des jurons, de la colère, de la détresse.

— Mais non, ils s’sont cor planqués, cria Broucke.

— Oui, dit Demachy, qui avait pris sa jumelle et regardait, angoissé… Il en reste. Ils sont dans les trous d’obus. Les fils de fer les ont arrêtés…

Nous nous bousculions derrière lui, tendant la main.

— Passe-moi ta jumelle, dis… Passe-la-moi…

En regardant bien, malgré la fumée, on les voyait encore, petits, serrés, éparpillés dans les trous. Mais, brusquement un nuage de fumée les cacha : notre artillerie reprenait son tir et se mettait à taillader, trop tard, la large haie de barbelé.

— Nom de dieu ! hurla Hamel, mais ils leur tirent dessus !

Une salve jeta ses cinq coups terribles autour de la vivante épave, puis les shrapnells claquèrent au-dessus d’eux. L’artillerie aveugle s’acharnait sur ce coin-là.

— Mais il faut prévenir… Il faut arrêter le feu, criait Demachy livide…

Le capitaine passa en courant.

— Ils ne voient donc pas !… Un homme de liaison… Vite au téléphone.

Cela tombait toujours, hersant la terre. Entre deux salves, on vit quelque chose s’agiter dans les trous d’obus, une forme se relever, un des survivants avait dénoué sa ceinture de flanelle, une large ceinture rouge, et, agenouillé sur le bord de son trou, à trente