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conservé une telle terreur qu’il n’avait plus qu’une idée : se planquer. Il y parvenait en employant autant de ruses que naguère, à la foire, pour vendre un cheval rogneux. Tous les filons, il les avait usés. Il avait fait la retraite comme cycliste du trésorier, sachant tout juste se tenir en selle et courant sans répit sur le flanc de la colonne, son vélo crevé à la main. La Marne, il l’avait gagnée comme téléphoniste à la brigade. Depuis on l’avait connu bûcheron, aide-vaguemestre, armurier, convoyeur du ravitaillement, cordonnier. Il s’offrait pour toutes les besognes, effrontément, et se cramponnait à la place usurpée, jusqu’à ce qu’on l’en chassât. Avait-on besoin d’un secrétaire qui sût tout juste lire, d’un menuisier n’ayant jamais tenu un rabot, d’un tailleur ne sachant pas coudre : il était là. On aurait demandé un aumônier pour la division qu’il eût crié : « Présent ! » Il ne voulait pas se battre, c’était tout, et la peur lui donnait toutes les audaces. Pour le moment, il payait à boire à tous les caporaux du train de combat et partageait ses colis avec le sergent muletier des mitrailleurs, qui lui promettait de le faire affecter à l’échelon. Mais le capitaine ne voulait pas lui laisser quitter la compagnie et Bouffioux pliait une nuque songeuse sous les menaces de Fouillard.

— Pourquoi que tu serais plus que les autres, gros tas ! T’y monteras, j’te dis…

Fouillard, très fier d’avoir fait Montmirail à quatre pattes dans un fossé et orgueilleux de son titre d’ancien, détestait également Demachy, qui avait trop d’argent et des façons de monsieur. Alors, quand il était fatigué d’injurier le dos placide de Bouffioux, il regar-