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plus placer les siens, se rendant compte que ses petites anecdotes ne feraient aucun effet au milieu de ces faits d’armes.

Mais il lui était impossible de rester silencieux bien longtemps. Un jour, il se risqua, et raconta à sa manière, sans gloriole, avec plutôt une pointe de blague, une histoire entièrement fausse où il tenait, avec un modeste courage, le rôle exposé de patrouilleur volontaire. Il avait, une nuit, quitté la tranchée pour aller cueillir une boule de gui qu’il avait repérée entre les lignes, et il avait trouvé, à cheval sur une branche, un gros Bavarois également amateur de gui. Il l’avait fait descendre, obligé à lui faire la courte échelle, puis, sa boule de gui à la main, l’avait ramené à la tranchée française en le guidant à grands coups de soulier.

Son voisin de lit, un colonial, n’en avait pas cru un mot et avait failli étouffer de rage, mais la bonne sœur à qui était destiné le récit en avait ri toute la journée.

Cela avait décidé Sulphart à en raconter d’autres si bien qu’il fut bientôt le héros de l’établissement et que des civils vinrent spécialement pour l’entendre.

Le personnel de l’hôpital – les majors, les infirmières, les sœurs, l’aumônier, les dames qui arrivaient à onze heures, tout essoufflées, et passaient vite leur blouse blanche pour servir le déjeuner des blessés – tous et toutes avaient entendu raconter tant d’histoires de soldats que les récits de guerre ne les étonnaient plus, mais, avec Sulphart, c’était un renouvellement complet du genre.

Dans sa bouche, la guerre devenait une sorte de grande blague, une succession abracadabrante de