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sa chemise. Ce fut horrible, il lui sembla qu’il allait s’arracher les entrailles, emporter sa chair… Torturé, il s’arrêta, sa main posée sur sa peau nue. Il sentit quelque chose de tiède qui, doucement, lui coulait le long des doigts. Alors effrayé, pour arrêter son sang, il prit son pansement et sans le dérouler, en tampon » il l’appliqua sur sa blessure. Il mit par-dessus l’enveloppe de grosse toile, puis son mouchoir, et, pour tenir cela bien serré sur la plaie sanglante, il referma son pantalon, torture atroce qui lui broya les reins.

Enfin, à bout de forces, il laissa retomber ses bras et, la tête renversée, il s’abîma dans sa souffrance. Il respirait à souffles saccadés, d’une haleine rauque. Les ténèbres descendaient dans ses yeux, comme pour les remplir. Sur son corps glacé, sa tête bourdonnante de fièvre semblait brûler, et le vent froid qui battait l’ombre ne rafraîchissait pas son front. Quelques gouttes de pluie, larges et lourdes, lui firent un bien infini, en s’écrasant sur son visage. Il aurait voulu rester ainsi toujours, jusqu’à l’arrivée des brancardiers.

Les idées, sous ses tempes, battaient comme une fièvre. Non, ils ne viendraient pas le chercher… C’était pour le punir. Pourquoi n’était-il pas allé chercher le blessé, la veille ?… Il avait appelé toute la nuit, pourtant. C’était pour le punir : lui aussi on le laisserait mourir…

Il pensait toujours à cet homme qui avait crié toute la nuit, dans le désert noir. Cela l’obsédait… Il se disait dans son délire :

— Si j’arrive à ne plus penser à lui, je suis sauvé… C’est lui qui m’empêche d’être guéri… Il ne faut plus…

Et il se répétait : « Je veux… je veux… », mais