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couchés sur des brancards, et qui râlaient, les yeux termes sur leur souffrance. Le major dit à Sulphart :

— Je ne peux rien te faire ici… Repose-toi là et à la nuit, quand cela tirera moins, vous partirez tous ensemble pour l’ambulance.

Il cherchait une place pour s’asseoir lorsqu’un petit sergent, le bras tenu en écharpe par un grand mouchoir à carreaux, se leva et dit :

— Je ne veux plus attendre ici… Ce soir, il ne me restera plus de sang.

Tout chancelant, il sortit en bousculant les autres, et Sulphart s’assit sur sa marche.


Le ciel pluvieux hâta la nuit, et, au jour tombant, plusieurs blessés partirent. Sulphart les suivit. Devant lui marchait un chasseur qui tenait à deux mains sa mâchoire broyée. En chemin, ils en rejoignirent d’autres et leur bande grossie arriva près des batteries. Les artilleurs sortirent pour les voir.

— Vous êtes sur la bonne route, les gars… Le village n’est pas loin…

Ils repartirent. De loin en loin, un soldat était couché, blessé à bout de sang que la Mort avait rejoint. Elle devait connaître leur route et les guetter au passage, pour les achever. Ils reconnurent ainsi le sergent, à son grand mouchoir à carreaux. Pourquoi aussi avait-il voulu partir seul ? À deux, on lui fait face, on se défend…

Ce qui restait de jour s’écoulait, comme d’une vasque fêlée. Dans la buée du crépuscule, ils entrevoyaient des compagnies de renfort, pliées sous le sac