Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plissait pas… Seulement, nous autres, on est habillé avec des fringues en rab’, des vestes trop grandes, des frocs trop courts, des vieilles capotes, pour faire le poil aux tommies, j’te jure qu’il faut être beau môme… Seulement, on a pour nous qu’on sait causer… On se balade réunis comme on est blessé, c’est crevant. Ceux à qui il manque un bras ou bien qui ont la tête amochée, ils s’en vont en bandes, parce que leur blessure, ça ne les empêche pas de marcher, ils peuvent faire vinaigre. Nous autres, les pattes folles, on faisait équipe à part. Moi, j’avais juste deux cannes, mais les autres il leur manquait un pied, un bout de jambe et ça fait triste, ce bruit de béquilles sur le trottoir, tu ne peux pas savoir… Les civils n’y font plus attention ; ils disent comme ça que maintenant ils ont pris l’habitude. Les gars l’ont pas, eux, l’habitude, tu peux en être sûr… J’avais un social qui avait le bas de la tête enlevé, il n’osait pas se montrer, il avait honte… Tiens, c’était un gars du six neuf, ceux qu’ont donné avec nous à Carency.

Ayant bu une gorgée de rhum brûlant, il remercia :

— Ça réchauffe. Ce vieux Demachy se soigne toujours l’estomac, je vois ça.

Sulphart penché cherchait à lire l’avenir dans son fond de quart.

— Et la guerre, demanda-t-il, quand est-ce que ça va finir ?

Vieublé, avant de répondre, eut un ricanement.

— Ah ! ce retard… Tu crois pas qu’ils en parlent, non !… Mais à Paname, ils ne savent plus que c’est la guerre. Personne y pense, sauf les vieilles qui ont leurs mômes au front… Les ménesses ont jamais été