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les compagnies d’ombres s’alignaient sur le chemin.

— « Manque personne… Manque personne… » répondaient les caporaux à l’appel de leur escouade.

Quand vint son tour, Maroux répondit :

—-Manque Bouffioux… Il est allé réveiller l’adjudant à la ferme en face. Je vais le chercher.

Il entra dans la grande cour obscure, s’embourba dans le fumier, buta en jurant contre une herse oubliée, et, à l’aveuglette, il appela :

— Hé, Bouffioux !… Où que t’es ?…

Il entendit comme un craquement derrière lui, à la hauteur du toit, et une masse qui tombait lui ayant frôlé l’épaule vint s’écraser sur le fumier, avec un bruit mou, entraînant l’échelle du grenier, qui s’abattit sur le pavé.

Maroux saisi, avait fait un saut de côté, puis il s’élança, pour aider l’homme qui se relevait étourdi.

— T’as rien de cassé ?

— Non, rien, grelotta une voix blanche.

— Comment !… C’est toi, Bouffioux ?

— Oui, bafouilla l’autre, encore tout tremblant. J’ai fait un faux pas, j’ai manqué l’échelon…

— Mais qu’est-ce que tu foutais là-haut ?

— Eh bien… je pensais que des fois l’adjudant…

Le caporal haussa les épaules. Il avait compris.

— Ça va… Ramasse ton flingue et ton sac… Viens. Mais ne rebiffe jamais à ce truc-là, hein, je ne veux pas d’histoire à l’escouade…

Ils rejoignirent la colonne qui se formait et Maroux cria : « Manque personne. »

On s’engagea sur un chemin humide dont l’argile engluait les pieds. Dans l’ombre, à des cliquetis