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l’escouade sont toujours sûrs de se mettre une belle corde. Moi, je m’en colle, je m’débrouillerai pour moi.

Et pour bien montrer qu’il n’était plus solidaire d’une escouade conduite aux abîmes par un caporal incapable, il s’en alla vers l’église, en sifflotant un petit air.

On faisait l’appel des escouades lorsque Gilbert entra dans la cour où le fourrier avait fait décharger à quelques pas de la fosse à purin, les quartiers de viande frigorifiée qu’un homme découpait à coups de hachette, les pommes de terre, le singe, un sac crevé d’où s’écoulait le riz en mince filet, et les biscuits, que les gosses emportaient dans leur tablier pour faire la pâtée des cochons.

Penchés sur le tonneau de vin qu’ils tapotaient pour s’assurer qu’il était bien plein, ceux qui attendaient leur tour discutaient sur le nombre de bidons qui reviendraient à chaque escouade ; il y en avait qui criaient déjà que ça ne faisait pas leur compte. On distribua les lentilles, les patates, le café en grains. Surpris, Demachy fit remarquer :

— Mais nous n’avons pas de moulin.

Les autres le regardèrent et rirent. Derrière le groupe, quelqu’un vociféra :

— Vous pouvez vous marrer, allez ! V’là le gars qu’on envoie aux distributions pour une escouade…

C’était Sulphart, qui était venu là en curieux, rien que pour voir. Embarrassé, son képi plein de sucre, ses poches remplies de café, le fond de son sac gonflé de lentilles, Gilbert s’affolait ne sachant plus où mettre son riz. Comme on riait autour de lui et que le fourrier criait : « Eh bien ! et la mesure, tu ne veux pas la