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pluie rageuse. Des grognements endormis répondaient.

— Tu peux te la carrer dans le train, ta soupe… Bon Dieu que ça tombe, faudrait avoir faim.

Pourtant quelques-uns sortirent. Dans une étroite cagna, à ras de terre, une bougie s’alluma. Accroupis, ils remplissaient leur gamelle et on les entendit manger.

— Je prends min quart ed’vin, dit Broucke.

Mais de son trou, Maroux réveillé cria :

— Passez-moi le seau de vin et l’eau-de-vie. Je veux pas qu’on y touche. Je distribuerai au jour.

Gilbert les lui porta avec le paquet de lettres et courut jusqu’à son trou. Il se courba pour passer sous les sacs à terre et sauta. Cela éclaboussa, comme s’il avait mis le pied dans un ruisseau. La pluie, malgré la planche qu’il avait posée pour former barrage, avait pénétré dans sa cagna et, comme celle-ci était creusée en pente, cela formait vers l’entrée une petite mare. Encore s’agenouiller dans la boue pour creuser un puisard à coups de pelle-bêche, encore écoper avec sa boîte à singe lutter contre cette eau qui s’infiltre malgré tout… Il n’en eut pas le courage. Tant pis, il resterait acagnardé au lieu de s’étendre.

Il retira son caoutchouc et fut tout heureux de trouver sa capote sèche. Dans la nuit crépitait la pluie et il sourit en l’écoutant. Il était à l’abri, il était chez lui ; rien à faire qu’à lire sa lettre, la relire, puis dormir avec elle.

Ayant déroulé ses molletières de boue et raclé ses godillots, il glissa ses pieds mouillés dans deux petits sacs à terre, qui lui tiendraient chaud. Puis il s’enroula dans sa couverture, jeta son caoutchouc luisant sur