Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.

capuchon baissé lançait des ordres que personne n’écoutait. De bande à bande, des injures se croisaient :

— Allez-vous reculer !… Tu parles de c… Nous sommes chargés.

— On ne peut pas. Y a des brancardiers derrière.

Une fusée blafarde, dont la lumière se diluait dans la pluie, démasquait un instant une corvée chargée d’outils. Puis tout cela se mêlait. Incrustés dans la paroi, les jambes et le dos dans la boue, les hommes se croisaient, dans un brouhaha de jurons. On repartait, des grognements à l’arrière.

— Pas si vite, en tête !… Faites passer, ça ne suit pas…

Au prochain tournant, la colonne aveugle s’arrêtait brusquement devant un nouvel obstacle. Seuls les premiers savaient, les autres ne voyaient rien que la file des dos voûtés qui se perdait dans le noir. Les mains glacées posaient leur charge.

— Eh bien quoi ? On repart ?

De l’avant, l’ordre revenait :

— Laissez passer, un blessé.

Le fossé de fange étant à peine assez large pour un brancard, il fallait donner le passage aux porteurs. La queue de la corvée refluait dans un gras clapotis de boue agitée, jusqu’à la dernière parallèle. Des hommes, à quatre pattes, s’enfonçaient dans des niches et ceux qui n’avaient pas de trous où se tapir, ayant posé leur pain ou leurs bouteillons sur le bord du boyau, se hissaient dehors en s’agrippant au parapet gluant dont la terre cédait sous les paumes.

Des exclamations s’entendaient :