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XIV
MOTS D’AMOUR


La pluie fouettait la boue et les hommes. On ne la voyait pas, mais on entendait grêler ses rafales sur la terre molle et les capotes trempées.

La nuit cachait tout, une nuit épaisse, sans ciel, sans horizon, et les dernières corvées de soupe qui sortaient du boyau n’avaient pour se guider que le bourdonnement étouffé des voix. Les hommes avançaient, les paupières plissées, les joues froides. Le vent leur sifflait dans les oreilles, un vent perdu qui ne trouvait rien à secouer, ni branches, ni choses.

Autour des cuisines roulantes, les escouades se tassaient. Les soldats étaient blottis sous les voitures, comme des mendiants sous un porche. Les premiers à servir se bousculaient, tendant leur plat ou leur bouteillon. La pluie entrait par paquets dans la chaudière ouverte, et l’homme de la dernière escoude, qui piétinait dans une mare, grommelait en pressant les autres.