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Cela pue la poudre. Les fusées qui s’épanouissent font courir des ombres fantastiques sur le cimetière ensorcelé. Près de moi, Maroux, en se cachant la tête, tire entre deux sacs dont la terre s’écoule. Un homme se tord dans les gravats, comme un ver qu’on a coupé d’un coup de bêche. Et d’autres fusées rouges montent encore, semblant crier : « Barrage ! barrage ! »

Les torpilles tombent, par volées, défonçant les marbres. Elles arrivent par salves, et c’est comme un tonnerre qui rebondirait cinq fois.

— Tirez ! tirez ! hurle Ricordeau qu’on ne voit pas.

Abasourdis, hébétés, on recharge le lebel qui brûle. Demachy, sa musette déjà vide, a ramassé les grenades d’un copain tombé et les lance, avec un grand geste de frondeur. Dans le fracas, on entend des cris, des plaintes, sans y prendre garde. Il y en a certainement qui sont ensevelis. Un instant, les fusées découvrent un grand mort, couché sur une dalle, tout en long, comme un homme de pierre.

En rafale, notre barrage arrive enfin, et une haie rouge de fusants crève la nuit, en tonnant. Les obus se suivent, mêlant leurs aiguillées, et cela forge une haie de fer au-dessus de nous. Percutants et fusants se plantent furieusement devant nos lignes, barrant la route, et, empanaché de fusées, claquant d’obus, le cimetière semble vomir des flammes. D’un parapet à l’autre, les hommes courent sans savoir, trébuchant, se poussant. Beaucoup culbutent, la tête lourde, les reins plies, et les tombes en vomissent toujours d’autres, dont les shrapnells et les fusées découvrent les silhouettes traquées.

Au centre, devant le saint impassible, les torpilles