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Gilbert lui a soulevé la tête, pour la prendre sur son bras, et, penché sur lui, il lui a parlé, la voix bourrue :

— Qu’est-ce que tu as ?… Tu n’es pas fou. Il ne faut pas pleurer, ne te fais pas d’idées, voyons. Tu es blessé, ce n’est rien. C’est un filon, au contraire ; on va t’emmener ce soir à l’ambulance et demain tu coucheras dans un lit.

Sans répondre, sans ouvrir les yeux, Bréval sanglotait toujours. Puis cela s’est apaisé, et il a dit :

— C’est pour ma pauvre petite fille que je pleure.

Il a regardé Gilbert encore un long moment sans parler, puis, semblant se décider, il lui a dit à mi-voix :

— Écoute, je vais te dire une chose, à toi tout seul, c’est une commission.

Gilbert a voulu l’arrêter, lui parler de la belle fiche d’évacuation à la capote, le tromper… Mais il a hoché la tête.

— Non, je suis foutu. Je veux que tu me fasses une commission. Tu vas me jurer, hein ? Tu iras à Rouen, tu verras ma femme… Tu lui diras que ce n’est pas bien, ce qu’elle a fait. Que j’ai eu trop de peine. Je ne peux pas tout te dire, mais avec un aide qu’elle a pris, elle a fait des bêtises… Tu lui diras qu’il ne faut pas, hein, pour notre petite fille… Et que je l’ai pardonnée avant de mourir. Hein, tu lui diras…

Et il s’est remis à pleurer, silencieusement. Personne ne disait rien. Nous le regardions tous, penchés sur lui comme sur une tombe qui s’ouvre. Il s’est enfin arrêté de pleurer, n’ayant plus qu’une plainte aux lèvres, et il s’est tu un moment. Puis ses dents se sont