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combien de rêves, cette nuit, dans ces alcôves éternelles ?

Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats
De dormir, comme ils font, chaudement, dans leurs draps…



Trois jours, cela fait trois jours que nous tenons le cimetière pilé par les obus. Rien à faire, qu’à attendre. Quand tout sera bouleversé, qu’il ne devra plus rester qu’un mélange broyé de pierres et d’hommes, ils attaqueront. Alors, il faudra qu’il surgisse des vivants.

Entre ces quatre murs qui se crénellent et s’effondrent, la compagnie est prisonnière, isolée du régiment par les marmites qui piochent les ruines, par les mitrailleuses qui balaient les pistes.

Le soir, quelques hommes de corvée partent, quelques brancardiers se hasardent. Et vite, en se cachant, ils exhument un homme d’un grand caveau de famille, où des blessés geignent, sans soins possibles, depuis des jours. Ils volent un mort au cimetière.

Ils sont encore six, dans ce tombeau dont les Allemands ont fait un poste de secours. Quand on se penche sur cette bauge, on respire l’odeur terrible de leur fièvre, et la plainte suppliante de leurs râles confondus. L’un d’eux est là depuis une semaine, abandonné par son régiment. Il ne parle plus. C’est une chose tragiquement maigre, avec des yeux immenses, des joues creuses salies de barbe, et des mains décharnées, dont les ongles griffent la pierre. Il ne bouge pas, pour ne plus sentir la blessure assoupie