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— Cela ne te fait rien d’être là dedans ?… Au fond, tu sais, avec une couverture dessous et une dessus, on ne sera pas mal.

— Et puis, ces dalles-là, c’est épais, il faudrait que ça tombe en plein dessus. Je prends la veille le deuxième, de trois à cinq ; et toi ?

On s’étendit. La place n’était pas plus large que dans un lit d’enfant ; malgré la capote, la couverture et la mince litière de journaux, on sentait, sous ses reins, le froid de la pierre. J’avais posé la tête sur l’épaule de Gilbert, et, les mains glissées sous les aisselles, le col relevé, j’essayais de dormir. On ne voyait rien, rien…

Là-haut, dans un grondement épouvanté, le bombardement continuait, préparant leur contre-attaque, et, parfois le coup de bélier d’une torpille ébranlait le cimetière. Une sorte de cauchemar lucide hantait mon esprit. Contre mon dos je sentais l’haleine humide du tombeau qui me faisait frissonner.

— Tu as froid ?

— Non.

Les os ?… Où a-t-on jeté leurs os ? Une idée bête me poursuit. Je voudrais sortir pour lire le nom, savoir dans le lit de qui je suis couché. Alors, si une torpille cognait là, ce serait fini ? Pas la peine de nous enterrer, pas même besoin d’une croix : on l’a plantée pour l’autre. N’est-ce pas tenter la mort, n’est-ce pas la narguer, que de coucher dans un tombeau ? Pourtant, ce n’est pas notre faute à nous… Oui, je voudrais connaître le nom de l’autre. Malgré moi, je pense à lui. Je l’imagine couché, bien droit. Et, superstitieux, ayant peur, rigide comme lui, d’être