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envoyait des baisers avec sa main blessée, comme un paquet de linge neuf.

À une fenêtre fleurie, une jolie tête blonde se montra – les têtes sont toujours jolies, qu’on n’entrevoit qu’un instant – saluée au passage par une longue clameur, et le tourbillon était déjà passé qu’elle écoutait encore, penchée sur ce sillage de poussière et de cris.

Le convoi roulait toujours et nul ne se plaignait de la route trop longue. On eût voulu mettre encore des villages, encore des champs, encore des lieues, entre la guerre et nous. Tant mieux, on n’entendrait plus le canon. Dans les éteules, les batteuses, en ronflant, mangeaient des gerbes blondes ; les boqueteaux d’un vert frais baignaient nos yeux brûlés ; on enviait le bonheur des villages entrevus sous les arbres, de ces fermes aux toits rouges qui n’étaient plus pour nous que des cantonnements.

Il faisait trop chaud, sous les bâches où le soleil tapait droit. Engourdis, nous ne criions plus, on eût voulu dormir… Enfin, les camions ralentirent, puis s’arrêtèrent.

Les jambes faisaient mal, les têtes étaient lourdes, les corps endoloris. En grognant, on bouclait le sac, qui n’avait jamais paru si lourd.

— Pourquoi qu’ils ne nous ont pas débarqués juste dans le village ?… On voit bien qu’ils ne sont pas fatigués, à l’état-major…

À peine descendus, certains s’étaient affalés sur l’herbe. D’autres avançaient en boitillant, les pieds gonflés dans les chaussures racornies que nous n’avions pas quittées depuis deux semaines. Ils s’étayaient sur